22 août 2017 Flot de larmes, ses cris crissant et crispants m’inondent jusqu’à l’estomac : « Mamannnnnnnnnnnnnn … » 2ème matin* que je le dépose au stage d’art abstrait, sous le thème «les cent sans sens » ou selon moi comment schnouffer dans tous les sens?! Je fuis le bâtiment car il ne se calmera pas tant que je ne serais pas partie. Son petit cœur d’à peine 3 ans, 3 mois et quelques jours est inconsolable. Moi, déchirée par la nécessité de l’abandonner là dans cet état de malheur suprême, je remonte dans le tram et reprend mon chemin en sens inverse ;
Lorsque Martine était petite, le meilleur endroit au monde était le ventre mollement rebondi de maman. Ses pulls réceptionnaient volontiers rires et larmes, morve et crottes de nez. Maman offrait de douillets câlins, un sentiment de sécurité et de paix infinie. Pourquoi grandir quand ce paradis existe, gratuit et entièrement dédié à votre accueil.
Je devais avoir 6 ans peut-être 7, maximum 7. Un soir, j’étais allongée et encore éveillée sur la partie haute des lits superposés que nous partagions avec ma sœur. Elle dormait à poings fermés malgré mes horribles histoires du loup qui viendrait la dévorer dans son sommeil.
Dans une pénombre éclairée par l’unique lampadaire encore en fonctionnement de la rue, installé juste en face de nos fenêtres, les jouets, les poupées et autres bibelots entassés sur les étagères entamaient leur manège nocturne, leur valse d’ombres chinoises.
Je me retrouvais dans cette phase de pré-sommeil où l’espoir du repos qui apaise se mêle à l’attente du marchand de sable et aux frayeurs de la nuit. Les yeux à demi-fermés, je laissais mon esprit vagabonder, les idées me traverser sans trop m’y arrêter, jusqu’à la révélation ultime, une prise de conscience suffocante. Je réalisais de tout mon être ce que la mort signifiait. Plus de marchand de glace itinérant qui chante aux fenêtres du salon après le repas, plus d’amis, plus de moi, plus de vie, le contraire du tout, c’était le rien. « Mamannnnnnn …»
Je dévalais alors les escaliers, un par un, effrayée certes mais pas casse-cou, et sans me retourner car j’avais peur du noir. Peur dont aujourd’hui je ne me suis toujours pas débarrassée…
Martine vint alors se blottir contre maman, des torrents de larmes dégoulinants sur ces joues enflammées. « Maman, un jour tu vas mourir, je ne veux pas que tu meurs… » « Oui un jour mais pas aujourd’hui, ni demain. Un jour dans longtemps. N’ai pas peur et ne pleure plus ». Une main dans mes cheveux et l’autre caressait mon dos. Martine resta lovée là 10 voire 15 minutes, le temps de reprendre mes esprits et d’être capable de remonter me coucher, seule. J’ai bien dû m’endormir ce soir-là et tous les autres qui ont suivis, malheureusement ses explications n’ont jamais suffi à rassurer Martine.
23 août 2017 3ème matin, je retiens mon souffle. Mon fils en a gros sur la patate, fini la crèche depuis deux mois, vacances en famille, soleil et piscine tous les jours. Et là, au milieu d’une pièce sans jouets, livré à lui-même avec des petits sauvages tout crasseux et assoiffés de destruction, les larmes coulent à nouveaux. Au petit-déjeuner il avait bien murmuré qu’il ne voulait pas y aller, pourquoi avais-je espéré qu’il serait content sur place?! 24 août 2017 4ème matin, Tout va bien ! Maman l’a rassuré, je viendrai le chercher tôt et avec son vélo nous rejoindrons Gaspard son copain de toujours au parc. Tout est OK jusqu’à 10 mètres avant le portail. En courant joyeusement il trébuche et s’égratigne sérieusement le genou gauche pour la toute première fois. 1ers picotements, 1eres gouttes de sang, larmes, pleurs et nous voilà reparti pour un tour. Désinfectant et pansements n’y font rien. Je tente de le rassurer à nouveau, câlins. Je lui rappelle Gaspard, le parc et le vélo. Rien n’y fait ! Hurlements. Je repars donc les bras ballants, déçue que toute l’énergie de maman ne lui ait pas suffi. Vivement le dernier jour ! Et sa 1ere rentrée des classes** qui approche ?!
*1er matin, son visage était interloqué, certes un peu tendu et curieux, il y était allé franc et décidé. Aucun signe de désespoir donc aucun besoin de le mentionner.
**Je ne me souviens pas de ma première rentrée. Selon la légende familiale, Martine avait lâché la main de maman, sans au revoir ni pincement. Pressée de partir vivre ma vie, je trottais tout droit devant, la queue de cheval en balancement latéral, joyeuse et fière.